Ethnotempos n ° 11
Sounds of Mongolia dénote un retour à plus de sobriété de la part d'EGSCHIGLEN ; les ambitions esthétiques contemporaines du groupe sont clairement mises en veilleuse au profit d'une exposition plus convenable, sinon convenue, de la tradition mongole (les morceaux sont de plus assez courts) La conception du livret de 30 pages, avec les usuels chapitres sur l'histoire du pays, la description des instruments et le résumé des chansons, confirme cette orientation plus calibrée. 11 est vrai que, pour la première fois, ce disque ne parait pas sur un label européen, mais américain (Arc Music). Sans doute EGSCHIGLEN a-t-il cherché à s'ouvrir à un autre public en respectant la charte de conduite de toute production étiquetée folk.
Avec Zazal, EGSCHIGLEN offre l'image d'un groupe qui, pour avoir mené une exploration très poussée de ses racines, ne souffre plus d'aucun complexe et se permet de projeter ses acquis dans un projet artistique ancré dans la contemporanéité de la tradition mongole. Même les morceaux les plus ouvertement traditionnels, comme Builgan shar, Hartar sarlag, ou encore la chanson à boire Urls dundaa sain, font l'objet d'un travail d'adaptation audacieux qui leur permet de dépasser le stade de la simple ritournelle folklorisante. On devine très vite qu'EGSCHIGLEN a décidé ici de faire valoir sa propre identité esthétique au lieu de les faire-valoirs d'une image figée de sa tradition.

Surtout, Zazal comprend plusieurs oeuvres pionnières de compositeurs mongols contemporains telles que Manduhai, composée par JANZAN-NOROV, Sergeliin egshig, écrit par SHARAV dans les années 1970, et ce véritable monument national qu'est Morin-khuur konzert, une oeuvre épique de HANGAL (compositeur décédé en 1996) conçue à l'origine pour la fameuse viéle à tête de cheval et des instruments occidentaux. Le tour de force d'EGSCHIGLEN est d'en proposer une version entièrement jouée sur des instruments traditionnels mongols. C'est du reste ce travail de transposition harmonique et mélodique qui donne sa personnalité à la musique d'EGSCHIGLEN et à ce disque en particulier. Dans Han huhiin uuland (une autre oeuvre de SHARAV), la partie jouée en principe à la flûte est ici traduite en chant de gorge khöömii par « Amra» BAASANDORJ. A la transposition succède aussi le détournement de fond : en l'occurrence. avec Talin salhi, une mélodie du compositeur japonais Isao TOMITA savamment réorientée sert de support à l'interprétation d'un poème vantant une fois de plus l'illustre destin de Gengis KHAN, et ce, sur une diction vocale étrangement hachée et une scansion rythmique somme toute familière. Il faut se rendre à l'évidence : avec Talin salhi, EGSCHIGLEN invente rien moins que le « khöömii-rap » !!! Et puis il y a ce morceau (Heriengiin barya) Joué à la seule viéle morin-khuur par «Tumruu YANLAV », les phrasés sinueux comme l'onde respirent une tristesse majestueuse ... Enfin, il y a cette improvisation de chant diphonique khöömii (Haramgui) qui, une fois de plus, laisse... sans voix !
   Indéniablement, Zazal est une oeuvre forte qui ouvre nombre de perspectives et bouscule de bonne guerre nos présomptions sur la façon de jouer - et donc de représenter - la musique mongole aujourd'hui. Son caractère défricheur demande une écoute patiente et renouvelée, car les points de repères usuels de tout disque de musique traditionnelle sont subtilement brouillés. Zuzal laissera peut-être à l'auditeur peu préparé une impression de trop-plein.
La cuisine d'EGSCHIGLEN est de celles qui conviennent aux grands voyageurs.
Ce n'est pas un hasard si le titre choisi pour cet album fait référence à un rituel sacrificatoire dans lequel le thé au beurre est répandu aux quatre points cardinaux -à l'aide d'une louche baptisée «zazal»-, manière d'appeler les esprits protecteurs de la nature sur le pèlerin prêt à entamer son périple.
Et si vraiment vous craignez de rester sur votre faim, le livret du CD vous offre la recette d'un met local à base de viande de chèvre, le «yamaanii boodog » (titre du troisième morceau, écrit lui aussi par le compositeur contemporain HANGAL).
Nul doute que cela vous changera de la panse de brebis farcie !